Addiction et psychiatrie: de l’intérêt des diagnostics

[Diffusé le 11-10-2016]

Auteur : Dr Véronique Vosgien


La présence de troubles addictifs et troubles psychiatriques (comorbidité) est une réalité fréquente, qui a des conséquences importantes sur les deux pathologies. Les addictions débutent tôt dans la maladie mentale et modifient profondément son expression ainsi que le rapport du patient au système de soins. La non-adhérence aux traitements de certaines pathologies psychiatriques peut être en lien avec une problématique de mésusage d’une substance non dépistée [4].

Quelques Chiffres

Des études ont relevé chez les patients dépendants de substances psycho-actives jusqu’à 70% de « troubles » psychiatriques (y compris les troubles de personnalité). Chez les alcoolo-dépendants, on peut constater 37 % de comorbidités dont 40 % de troubles de la personnalité, 40 % de troubles de l’humeur et 33% de troubles anxieux.

Si, sur la vie entière, les troubles psychiatriques ont une prévalence de 24 % en population générale, on avance les chiffres de 84 % chez les dépendants aux opiacés et 70 % chez les consommateurs de cocaïne. On estime également que les patients dépendants aux opiacés présentent un risque de troubles affectifs 5 fois supérieur, de troubles anxieux 3 fois supérieur et de personnalités pathologiques 24 fois supérieur à la population générale. A l’inverse, si une personne présente un trouble de la personnalité (particulièrement antisociale), le risque d’addiction est multiplié par 30.

La prévalence de l’addiction à l’alcool est de 34% chez les schizophrènes, 44 % chez les bipolaires, 30% chez les personnes présentant des troubles de l’humeur et enfin de 25 % chez les anxieux.

L’Etude USA ECA trouve 39 % d’abus ou dépendance à l’alcool et l’Etude USA NASARC (sur 40 000 adultes) 58 % d’abus ou dépendance à l’alcool, chez des patients bipolaires.

50% des schizophrènes présentent au cours de leur vie un abus de substances versus 17% dans la population générale (étude USA ECA) ; dans la population des schizophrènes hospitalisés, la prévalence des conduites addictives est de 20 à 60 % et dans la population des schizophrènes incarcérés, elle est de 92% !

La réalité de cette co-occurrence n’est plus à démontrer.

L’association de troubles addictifs et psychiatriques complexifie le tableau clinique, notamment chez les patients schizophrènes [1] avec une plus grande fréquence des poly-consommations, des symptômes psychiatriques plus sévères et plus exacerbés, des rechutes et hospitalisations, avec une évolution plus péjorative et enfin avec une augmentation de la fréquence du suicide, des comorbidités somatiques, de la violence, des incarcérations, de l’exclusion sociale et de la marginalisation.

En France, l’alcool est le plus fréquemment consommé, suivi de peu par le cannabis et on estime que 5 à 6 % des patients de CSAPA (opiacés) présentent ou présenteront des troubles schizophréniques.

Je n’évoque pas dans ces chiffres la consommation de tabac, mais celle-ci ci doit être évaluée chez tous nos patients afin de les aider vers une conduite de réduction des risques voire d’abstinence, grâce aux substituts nicotiniques tout particulièrement.

Pourquoi cette co-occurrence très fréquente ?

4 hypothèses [6] :

- L’addiction fait partie de la maladie mentale ;

- L’addiction comme automédication pour diminuer les troubles psychiatriques et les effets secondaires des médicaments ;

- L’addiction comme origine du trouble psychiatrique ;

- La somme de deux maladies évoluant pour leur compte avec en commun quelques facteurs de risque.

Diagnostic

Il est donc important de faire le diagnostic psychiatrique et addictologique.

Dans les deux disciplines, des échelles d’évaluation peuvent être utilisées. Les dépistages urinaires et les bilans sanguins peuvent permettre d’évoquer certaines consommations problématiques et d’informer le patient sur les risques encourus par rapport à sa maladie psychiatrique.

Les entretiens successifs permettront de faire l’anamnèse afin parfois de préciser la chronologie des troubles et ainsi de nous orienter vers des troubles addictifs primaires ou secondaires à la maladie mentale ou encore vers le diagnostic particulier de pharmaco-psychose (existence parfois controversée).

En dehors de cette pharmaco-psychose, les patients peuvent être répartis dans 4 classes qui permettront de proposer des prises en charge les plus adéquates :

1. Patients atteints modérément des deux troubles

2. Patients avec pathologie mentale sévère et présentant un usage problématique de substance

3. Patients présentant une addiction sévère et une pathologie mentale associée

4. Patients sévèrement atteints par une pathologie mentale et une addiction.

L’approche contemporaine des addictions permet aujourd’hui de prendre en charge cette problématique comme une maladie et non plus comme un comportement déviant et délictueux. Elle permet de dé-stigmatiser les usagers et de leur donner une vraie place comme patients nécessitant une attention particulière. 

Mais la prise en charge du double diagnostic n’est pas aisée ni pour les psychiatres ni pour les addictologues, et la facilité serait de jouer à la patate chaude avec ces patients : trop psy, l’«addicto »pense ne pas savoir faire, trop consommateur, le « psy » se sent tout à coup incompétent ; et que dire du médecin généraliste et des familles qui se sentent très isolés et peu entendus.

Prises en charge

La prise en charge peut quant à elle être [3] :

- Parallèle : la pire, personne ne se parle, à bannir

- Séquentielle : coopération et continuité, la plus fréquente

- Intégrée : l’idéal, mais rarement mise en place, intervention concomitante d’équipes et de thérapeutiques multidisciplinaires. Par exemple chez le schizophrène dépendant : TCC + intervention familiale + entretien motivationnel avec ajustement des interventions prenant en compte l’influence réciproque des co-morbidités.

Un consensus sur les enjeux et les défis du traitement propose d’associer des chimiothérapies et des psychothérapies, de conduire une approche souple et adaptée au patient, d’effectuer un dépistage routinier des comorbidités, de désigner un médecin référent coordonnant les soins, de proposer des traitements séquentiels puis intégrés et de conceptualiser des thérapeutiques prenant en compte l’évolution fluctuante de la motivation [5].

Dans tous les cas, ces patients à la double « peine », méritent une attention encore plus particulière, nécessitant une réelle coordination et les positionnant comme acteurs de leurs soins.

Rappelons-nous aussi que nos patients addicts les plus malades ont souvent, au-delà de leur problématique psychiatrique, des histoires de vie difficiles, faites de ruptures, de placements, de violences intra et /ou extra-familiales et de deuils.

Les aider dans leur désir de changement, c’est prendre en compte toutes les facettes de l’individu : sa dépendance aux produits, ses troubles psychiatriques et son histoire de vie. Sans cela, gare au risque de rechutes, de passages à l’acte et au bout du bout de mourir trop jeune !

Dr Véronique Vosgien

 

Références

[1]. Addiction et psychiatrie Michel Reynaud Masson

[2]. Dixon 1999- Bennett et Barnett 2003

[3]. Donald 2005

[4]. Berkson 1949, Bellack et al 2006

[5]. Bellack 2006 –Buckley 2006

[6]. Stakowski 2000 - Gorwood 2008

Buvidal
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