Psychoses émergentes et addiction (partie 1)

[Diffusé le 04-06-2019]

Auteur : Dr Véronique Vosgien


«  L'extraordinaire se trouve sur le chemin des gens ordinaires. » 
Paulo Coelho Le pèlerin de Compostelle

La France présente un grand retard sur le dépistage et les soins précoces des troubles  psychotiques. Une prise de conscience, un courant actuel, la mise en place  d’une « task force » sur le sujet essaient de fédérer les professionnels autour de ce sujet brûlant. La mise en place d’un réseau de soins pluriprofessionnel  est en phase de construction. La question de l’addiction est inhérente au sujet et nous devons d’ores et déjà nous positionner et connaître le champ de nos interventions  L’évident travail de partenariat entre addictologie et psychiatrie en devient encore plus critique et nécessaire. Dans chaque région, il nous faut réfléchir ensemble sur cette question.

  • Les psychoses émergentes 

« La notion de psychose émergente propose un pari sur les diverses évolutions avec leur inflexion positive possible (tant spontanément que grâce aux soins) et de prioriser des soins les plus précoces et les plus efficaces possibles avant de penser le traitement de la chronicité, des suites, séquelles et handicaps. » (1) « Actuellement en France, le retard de prise en charge est considérable : il faut en effet attendre 1 à 2 ans après le déclenchement des troubles, auxquels il faut ajouter 5 ans pendant lesquels les symptômes sont présents sous une forme atténuée (prodromes). » (2 ) La schizophrénie touche  1 % de la population , débute vers 15-25 ans ,associe des symptômes positifs (délire, hallucinations), des symptômes  négatifs (apragmatisme, perte de motivation, détachement affectif) et des symptômes  cognitifs  (désorganisation de la pensée, fonctions exécutives, mémoire, attention et cognition sociale). On décrit des indicateurs prodromiques précoces ( non spécifique) : Retrait social - détérioration du fonctionnement - humeur dépressive-  diminution de la concentration-  diminution de la motivation -troubles du sommeil  -anxiété- méfiance  et des indicateurs prodromiques tardifs (symptômes atténués) : Comportement étrange- diminution de l’hygiène personnelle- affect inapproprié -discours vague ou trop élaboré- discours circonstanciel -croyances bizarres ou pensées magiques- expériences perceptives inhabituelles.

Et pourtant trop souvent, c’est à l‘occasion d’une décompensation parfois grave que le diagnostic sera posé et pourtant PLUS ON TRAITE TOT MEILLEUR EST LE PRONOSTIC.

  • Lien entre schizophrénie et addiction  (3) (4)

Voila quelques pistes de réponses aux questions les plus fréquentes sur cette question.

La schizophrénie favorise-t-elle le mésusage de produits toxiques ? :

 L’hypothèse la plus répandue reste celle de l’automédication mais controversée par les constatations que l’usage aggrave plutôt la symptomatologie, que le choix des drogues dépend plus de l’accessibilité qu’à l’attrait, que les patients recherchent les même effets que les autres : euphorie socialisation etc , que cela permet pour certains d’adhérer à un groupe , et pour d’autre encore de contrôler leur maladie grâce aux produits .

Y a-t-il des terrains prédisposés ?  Les facteur de risques majeurs d’abus de substances sont  retrouvés aussi chez les patients schizophrènes ayant des conduites addictives : impulsivité et recherche de sensations fortes ;  traits de personnalité durables mais qui semblent exacerbés lors de la phase prodromique.

Les drogues peuvent-elles déclencher les troubles psychotiques ? Le cannabis, les amphétamines, la cocaïne, le LSD, certains champignons hallucinogènes, la phéncyclidine et les solvants peuvent induire des symptômes psychotiques chez des sujets sains, transitoires lors de consommations ou vraies pharmacopsychoses si elles durent dans le temps. Cette notion regroupe certainement plusieurs processus : psychose préexistante évoluant à bas bruit aggravée par les toxiques, psychose aigüe liée aux effets directs de la substance, psychose déclenchée par la substance évoluant ensuite pour son compte. Concernant particulièrement le cannabis et les amphétamines, même si les exemples cliniques de décompensations psychotiques sont nombreux,  il n’y a aujourd’hui pas de preuve directe de lien  de causalité entre addiction et schizophrénie.

La consommation répandue du cannabis notamment en France interpellent sur ses risques concernant l’apparition d’une psychose.  Le cannabis est associé à une augmentation du risque de psychoses et un début de maladie plus précoce chez les personnes présentant un profil de vulnérabilité pour cette maladie. La concentration des différents cannabinoïdes contenus dans le cannabis, la vulnérabilité génétique, l’utilisation de cannabis avant l’âge de 15 ans, ainsi que la présence de stresseurs environnementaux semblent agir à titre de modulateurs de l’effet psychotomimétique de cette substance.  (6) Le fait que tous les critères de causalité soient retrouvés, suggère que le cannabis est un facteur de risque indépendant pour l’apparition d’une psychose ou de symptômes psychotiques. Un dépistage précoce de la vulnérabilité à développer une psychose pourrait avoir des effets bénéfiques au niveau de la prévention des risques liés à l’usage de cannabis. (5)

Y a-t-il des facteurs physiopathologiques communs ?  Certainement. Il est bien établi que addiction et schizophrénie sont sous tendus en partie par des facteurs de vulnérabilité génétique et que d’autre part ils mettent en jeu certains circuits de neurotransmission communs (système dopaminergiques mésolimbiques et certaines régions cérébrales impliquées dans le contrôle du comportement et les réactions émotionnelles).

L’addiction aggrave-t-elle les troubles psychotiques ?

 Oui,  mais selon  la nature et le mode de consommation des toxiques.  Cannabis, alcool, cocaïne amphétamine et ectasy aggravent selon le produit le syndrome délirant, les idées délirantes de persécution, les hallucinations,  l’anxiété psychotique. L’héroïne et la codéine ont quant à elles tendance à masquer la pathologie qui se dévoile lors du sevrage.

Oui, avec un impact défavorable sur l’évolution en favorisant les ré hospitalisations et la  désinsertion sociale, la violence et les problèmes médicolégaux.

Oui, en retardant le diagnostic et la prise en charge.

Reconnaître les comportements d’abus et de dépendance est  donc une nécessité afin d’accompagner au mieux la personne souffrant de psychose émergente.

Suite dans un prochain édito !

 

  1.  Psychose émergente : une notion au service de la clinique Jean Chambry L'information psychiatrique 2019/3 (Volume 95), pages 165 à 169
  2. https://www.santementale.fr/actualites/psychose-debutante-10-propositions-pour-l-intervention-precoce.html
  3. PSYCHOSE ET TOXICOMANIES Revue Santé Mentale : N° 70 - Septembre 2002
  4. Alain Dervaux – Xavier Laqueille-Marie Odile Krebs INSERM E0117 Paris V Sante mentale N°70 sept 2002
  5. Cannabis et psychose : recherche d’un lien de causalité à partir d’une revue critique systématique de la littérature lP.-  Y.Le Becab M.Fatséasab C.Denisab E.Lavieab M.Auriacombeab L'Encéphale Volume 35, Issue 4, September 2009, Pages 377-385
  6. Le cannabis et ses effets  délétère : pour un débat plus nuancé Laurence Jobidon, M. D., Résidente en psychiatrie, Candidate à la maîtrise en sciences biomédicales, Université de Montréal Didier Jutras-Aswad, M. D., M. Sc., FRCPC, Chercheur au Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal, Professeur agrégé de clinique, département de psychiatrie de l’Université de Montréal

 

 

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