Microbiote et addiction

[Diffusé le 10-06-2020]

Auteur : Dr Véronique Vosgien

« Quoi ? Cet organe connu pour produire des petits tas nauséabonds et émettre des prouts dignes d’une corne de brume ? 0ui, c’est bien à lui qu’on doit aujourd’hui une reconsidération de nos acquis dans la recherche : petit à petit on remet prudemment en question la suprématie du cerveau… » Giulia Enders

Depuis une vingtaine d’années, la recherche s’intéresse fortement à cette flore intestinale qu’on nomme le microbiote, partenaire symbiotique de la bonne santé de l’organisme.
Notre microbiote, notre deuxième cerveau, contribuerait à l’émergence, l’aggravation et la pérennisation de certaines maladie (obésité, diabète, arthrite rhumatoïde… ) mais plus encore serait lié aux troubles psychiatriques telles la dépression et l’anxiété et à l’addiction , notamment à l’alcool .
 On sait aujourd’hui la capacité des micro-organismes intestinaux de « communiquer » avec le cerveau et induire des changements de comportements.
Le système nerveux entérique communique avec le cerveau de façon bilatérale, cette liaison et régulation se font par le nerf vague, les ganglions paravertébraux mais aussi par voie hormonale à travers le système endocrinien et l’axe hypothalamo- hypophyso-surrénalien, axe du stress. La communication entre système entérique et SNC est assurée par des neurotransmetteurs (acétylcholine, adrénaline, sérotonine) mais aussi par des hormones (ghréline et leptine).
Le microbiote est l’ensemble des bactéries, virus, champignons non pathogènes présents dans le tube digestif (1014 micro-organismes tous porteurs d’une signature génétique, 2 kg !). Constitué dès la naissance, il se stabilise vers 2-3 ans, il est propre à chaque individu.
La présence de troubles digestifs fréquents chez les personnes souffrant de troubles psychiatriques, de TCA et d’addiction laisse supposer un dysfonctionnement de l’axe microbiote intestin – cerveau.
Depuis les années 2000, nombreux travaux sur les souris confirment les liens entre microbiote, stress et dépression.
En addictologie, les travaux commencent à apparaitre également notamment sur la consommation de sucre, de cocaïne, de méthamphétamine chez les souris.
Des recherches récentes montrent bien une altération du microbiote (dysbiose) lors de l’exposition chronique à l’alcool tant chez la souris que chez l’homme.
Parmi les consommateurs d’alcool, seuls certains vont évoluer vers des formes sévères d’atteinte hépatique, le microbiote a été identifié comme co-facteur de cette susceptibilité individuelle ; celui-ci interagit avec le foie via la production de métabolites bactériens tels les acides biliaires secondaires. Chez les patients alcooliques avec atteintes hépatique sévère ont été constatés des acides biliaires secondaires plus hydrophobes donc plus toxiques associé à une dysbiose et à des modifications des fonctions bactériennes.
Une action sur le microbiote par la pectine a permis de prévenir mais aussi de faire régresser les lésions hépatiques chez les souris ; cet effet protecteur de la pectine est corrélé avec le métabolisme du tryptophane. 
On constate également chez certains patients une augmentation de la perméabilité de la paroi intestinale qui laisse passer des molécules qui devraient rester dans l’intestin, entrainant une réaction inflammatoire autour de l’intestin ; Cette perturbation semble accentuer l’envie de boire mais aussi les troubles dépressifs et anxieux. Cette modification semble même être associée à une forme plus sévère de dépendance à l’alcool et à un risque de rechute plus élevé.
D’autre part, une dysbiose pourrait préexister au mésusage de l’alcool et favoriser l’émergence de comportements inadaptés de consommations.
Plusieurs arguments sont ainsi en faveur d’un lien entre microbiote et addiction.
Ces découvertes laissent entrevoir, pour demain peut-être, de nouvelles thérapeutiques spécifiques ciblant le microbiote intestinal comme les probiotique, les pré biotique, les approches nutritionnelles et les greffes fécales pour les patients souffrant de troubles psychiatrique et ceux souffrant d’addiction.
En ne se concentrant que sur le cerveau, on a peut-être occulté cette zone « malade » qui continue à envoyer des messages de dérèglement. Une piste à suivre ...


« Toute maladie commence par l’intestin » Hippocrate

Références :

 - L’addiction touche-t-elle notre deuxième cerveau . Bertrand Nalpas  MD PhD Inserm
 - Le rôle caché de notre flore intestinale dans l’addiction . Benjamin Boutrel CHUV
 - Troubles  liés à l’usage d’alcool : et si l’addiction trouvait son origine dans l’intestin ?  Leclercq  S -Amadieu C - Stärke P l - De Timary P- Delzenne N  .Rev med Liège 2019

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